mobiliser des intérêts légitimes pour restreindre la protection des consommateurs ? (vélos absolus C-179/21)

Aujourd’hui, nous revenons à l’arrêt C-179/21, absoluts-bikes, rendu par la Cour de justice au début de cette année. La décision est peut-être passée sous de nombreux radars, d’autant qu’elle n’a pas été précédée de l’avis de l’avocat général. Cependant, il vaut la peine d’y regarder de plus près, car le jugement n’est pas seulement intéressant sur le plan théorique, mais aussi assez alarmant dans ses implications.

Faits de l’affaire

Le jugement a été déclenché par un litige entre deux commerçants allemands proposant des biens de consommation en vente en ligne : the-trading-company et absoluts-bikes. Selon la première, la seconde n’a pas fourni suffisamment d’informations sur les produits qu’elle vendait avec l’aide d’Amazon. Plus précisément, le litige portait sur le référencement d’un couteau de poche du fabricant suisse Victorinox. Dans cette liste, sous le sous-titre intitulé « Informations techniques supplémentaires », les consommateurs pouvaient trouver un lien décrit comme « Mode d’emploi ». Le lien menait à une fiche d’information de deux pages, rédigée par le fabricant du couteau et faisant référence, entre autres, à la « garantie Victorinox », décrivant les dommages couverts et la période pertinente.

Le demandeur a fait valoir que les informations fournies par le défendeur n’étaient pas suffisamment précises. En particulier, absolut bikes n’a pas informé les consommateurs que la garantie du fabricant n’affectait pas leurs droits légaux, ni n’a décrit l’étendue territoriale de la garantie. Ceci – selon le demandeur – constituait une infraction à la loi allemande sur la concurrence déloyale. Étant donné que les dispositions pertinentes avaient leur fondement dans le droit de l’UE, à savoir les directives sur les droits des consommateurs et sur les ventes aux consommateurs, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser des questions préjudicielles à la Cour de justice.

Garanties dans la directive sur les droits des consommateurs

La Cour a commencé son analyse en se tournant vers la directive 2011/83/UE relative aux droits des consommateurs et je limiterai également ce billet de blog à cette partie, car elle est la plus développée et la plus conséquente.

Pour rappel, l’article 6(1)(m) de la CRD impose aux professionnels d’informer les consommateurs avant de conclure des contrats à distance, le cas échéant, sur « l’existence et les conditions du service après-vente, des services après-vente et des garanties commerciales ». La question pertinente en l’espèce était de savoir si l’obligation d’information découle « du seul fait de l’existence de cette garantie ou si ce n’est que dans certaines circonstances que le professionnel est tenu d’informer le consommateur de l’existence et des conditions d’une telle garantie » (par. .24).

La Cour a commencé son raisonnement en rappelant la finalité des obligations d’information précontractuelle prévues par la directive. La disposition pertinente, a-t-elle fait remarquer, « vise à assurer la communication aux consommateurs, avant la conclusion d’un contrat, à la fois d’informations concernant les clauses contractuelles et les conséquences de cette conclusion, permettant aux consommateurs de décider s’ils souhaitent être liés contractuellement à un commerçant, ainsi que des informations nécessaires à la bonne exécution de ce contrat et, notamment, à l’exercice de leurs droits » (§ 26). Il s’ensuit que les obligations d’information visent à permettre aux consommateurs, d’une part, de prendre des décisions éclairées sur les contrats qu’ils souhaitent conclure et, d’autre part, d’exercer effectivement leurs droits après la conclusion du contrat.

Ces deux fonctions principales des devoirs d’information ont déjà été relevées dans la bourse et témoignent de l’importance de la divulgation obligatoire au-delà du moment de la conclusion du contrat. En effet, le paradigme de la protection des consommateurs qui vise avant tout à permettre aux consommateurs de prendre des décisions éclairées a longtemps été remis en question à la lumière de constats comportementaux montrant que les consommateurs peuvent souffrir d’une surcharge d’informations et ne tenir compte que de certains détails qui leur sont communiqués par les commerçants. De tels détails peuvent néanmoins s’avérer assez précieux à un stade ultérieur, par exemple lorsqu’un problème lié au contrat survient. Cela semble également être le cas pour les garanties du producteur, discutées dans le présent contexte.

Dans ce contexte, l’attention portée par la Cour aux deux fonctions d’information est la bienvenue. Malheureusement, il n’est pas traduit par la suite dans le reste du raisonnement judiciaire. Au lieu de cela, la Cour semble se concentrer principalement sur l’influence de la divulgation précontractuelle sur la décision des consommateurs de conclure des contrats, et la considère à travers une lentille particulièrement étroite, à savoir la lentille d’une éventuelle tromperie. Cette optique, cependant, n’est pas évidente dans le contexte de la directive sur les droits des consommateurs, mais semble plutôt alignée sur la perspective de (certaines dispositions de) la directive sur les pratiques commerciales déloyales.

Comment la Cour a-t-elle alors procédé à son analyse ? Tout d’abord, assez typiquement, il a tenté de décoder le sens de l’article 6(1)(m) de la CRD en examinant son libellé, son contexte et ses objectifs. Se référant à l’article 2, paragraphe 14, de la CRD, elle a conclu que la notion de «garantie commerciale», au sens de la directive 2011/83/UE, couvre à la fois les garanties commerciales offertes par les commerçants (vendeurs) et par les fabricants. Le professionnel est ainsi tenu, au moins dans certaines circonstances, de fournir au consommateur des précisions concernant non seulement sa propre garantie commerciale, mais également celle du fabricant. Jusqu’ici tout va bien.

S’agissant des objectifs de la CRD, la Cour s’est naturellement référée à l’établissement d’un « niveau élevé de protection des consommateurs », citant également l’article 169 TFUE et l’article 38 de la Charte des droits fondamentaux (paragraphe 38). Cela dit, la Cour a toutefois souligné la nécessité d’assurer « le juste équilibre entre un niveau élevé de protection des consommateurs et la compétitivité des entreprises, dans le respect de la liberté d’entreprise de l’entreprise », comme le prévoit également la Charte (par. 39). La Charte a donc été invoquée principalement pour mettre en scène un contexte dans lequel des intérêts concurrents doivent être équilibrés.

Centré sur l’intérêt des commerçants, l’arrêt a conclu qu’une obligation inconditionnelle d’information sur les garanties commerciales, en toutes circonstances, « semble disproportionnée, notamment dans le contexte économique de fonctionnement de certaines entreprises, notamment les petites entreprises » ( paragraphe 40). Cela semble plutôt indiscutable : il serait en effet fastidieux pour les commerçants de devoir collecter et mettre à jour en permanence des informations sur d’éventuelles garanties, alors qu’ils ne sont pas ceux qui les fournissent, ni ne les désignent dans leur offre. Cependant, selon la Cour, l’exercice de mise en balance devrait aller encore plus loin en faveur des commerçants. Et curieusement, la Cour l’a fait en se référant à la notion d’intérêts légitimes des consommateurs – et en la mobilisant au détriment des consommateurs.

Pour illustrer ce point, considérons le passage suivant du jugement :

Dans ces conditions, la mise en balance d’un niveau élevé de protection des consommateurs et de la compétitivité des entreprises, telle qu’elle ressort du considérant 4 de la directive 2011/83, doit conduire à la conclusion que le professionnel est tenu de fournir au consommateur des informations précontractuelles informations sur la garantie commerciale du fabricant uniquement lorsque l’intérêt légitime du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé à un niveau de protection élevé, doit prévaloir eu égard à sa décision de conclure ou non un contrat relation avec ce commerçant. (paragraphe 41)

Ainsi qu’il ressort du passage cité, la Cour semble oublier la double fonction des devoirs d’information évoquée plus haut dans l’arrêt. Cela est également dur pour les consommateurs compte tenu du raisonnement ultérieur, selon lequel la Cour estime qu’il existe un intérêt légitime à être informé des garanties des producteurs « lorsque le professionnel fait de la garantie commerciale du fabricant un élément central ou décisif de son offre » (§ 44) . Ce dernier serait le cas « lorsque le professionnel attire expressément l’attention du consommateur sur l’existence d’une garantie commerciale du fabricant à des fins de vente ou de publicité et, partant, pour améliorer la compétitivité et l’attractivité de son offre par rapport aux offres de ses concurrents » ( paragraphe 45). Lorsque ce n’est pas le cas, l’information sur la garantie n’est pas de nature à induire le consommateur en erreur, et ainsi son intérêt légitime ne semble pas exister.

Ce faisant, la Cour limite essentiellement la protection des consommateurs non seulement à la phase précontractuelle et à l’idée contestée d’une prise de décision éclairée, mais également à la protection contre le fait d’être « induit en erreur par des informations peu claires, ambiguës ou incomplètes ». Comme mentionné, cela semble plutôt être le domaine de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, dans laquelle un lien avec la CRD est en effet établi (cf. article 7(5) UCPD). Par ailleurs, la manière dont la notion de « consommateur moyen » est construite en l’espèce apparaît pour le moins discutable. Comme point de référence pour entreprendre l’exercice de mise en balance, la Cour se réfère au consommateur, « qui est normalement informé et raisonnablement attentif et avisé quant aux différents droits qu’il peut exercer en vertu d’une garantie ou à l’identité réelle du garant» (partie opératoire). Cependant, l’information sur ces facteurs est précisément ce dont le consommateur devrait disposer au moyen d’une divulgation obligatoire. Globalement, on peut se demander, selon nous, si la lecture retenue par la Cour en l’espèce correspond à l’exigence d’un « niveau élevé » de protection des consommateurs.

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