A voir, ce papier sur le web dont le thème est « la justice » et qui va vous séduire.
Le titre suggestif (ENTRETIEN. L’avocat Philippe Sands raconte la déportation cachée des habitants de l’archipel des Chagos) est sans ambiguïté.
Annoncé sous le nom «d’anonymat
», le rédacteur est connu et fiable.
Les infos concernées sont donc présumées véridiques.
L’encart a été diffusé à une date indiquée 2022-10-02 00:01:00.
Abritant une base militaire américaine ultra-stratégique sur l’une de ses îles – Diego Garcia – l’archipel des Chagos a été vidé de sa population par le gouvernement britannique au mépris du droit. Depuis 52 ans, ses habitants se battent pour retourner sur leur terre natale. Une décision de justice y contraint désormais le Royaume-Uni, qui refuse pourtant de s’y plier. À travers le cas des Chagos, Philippe Sands retrace l’histoire de la décolonisation, celle de l’influence britannique chancelante et des actions secrètes des États-Unis.
En 1971, la Grande-Bretagne décidait de déporter près de 2 000 personnes vivant dans l’archipel des Chagos, dans l’Océan Indien. Dans quel but ?
Parmi les 58 îles qui composent l’archipel des Chagos, il y en avait une qui intéressait les États-Unis : Diego Garcia. Les Américains ont dit aux Anglais « Vous n’avez pas voulu nous suivre au Vietnam, alors pourquoi ne nous donneriez-vous pas cette île pour que nous en fassions une base aérienne ? » Il « suffisait » pour cela de faire partir la population de Diego Garcia, soit environ 350 personnes. Les Britanniques ont accepté, mais il y avait un problème. C’était l’époque de la décolonisation, et il était impossible sur le plan juridique de séparer une partie d’une colonie. À moins qu’il n’y ait plus de population sur place, que celle-ci par exemple donne son consentement pour quitter son territoire… Et c’est précisément ce qu’ont fait les Britanniques, qui ont prétendu qu’il n’y avait pas de population dans tout l’archipel des Chagos, que ce n’étaient que des travailleurs saisonniers, alors que ces gens étaient là depuis la fin du XVIIIe siècle.
Comment les Chagossiens ont-ils été déplacés ?
On leur a ordonné de quitter leur terre, avec un délai de 24 heures et le droit à une valise par personne. C’est tout. Ils sont partis de nuit, en bateau, dans des conditions déplorables. Et ils sont arrivés au bout de cinq jours à l’Île Maurice, où personne ne les attendait. Ils n’avaient pas d’argent, pas de logement, ne savaient ni quoi faire, ni où aller. Ils ont fini par s’installer dans un bâtiment désaffecté, où ils ont vécu pendant quatorze ans. Petit à petit, ils ont reçu des sommes d’argent en dédommagement, jusqu’à vivre aujourd’hui dans des conditions tout à fait correctes. Mais ils n’ont à ce jour pas pu regagner leur île natale.
Comment êtes-vous arrivé dans ce combat ?
En 2010, j’ai reçu un appel du bureau du Premier ministre mauricien. Ils avaient lu un livre que j’avais écrit sur l’invasion illégale de l’Irak et avaient décidé de faire appel à mes services pour récupérer les Chagos. Je connaissais la base de Diego Garcia parce que la presse anglaise s’inquiétait de ce que les Américains y faisaient avec certains prisonniers (*) – sur un territoire britannique je le rappelle – mais j’ignorais tout de cette histoire de déportation. J’ai tout de suite accepté.
Neuf ans plus tard, en 2019, vous vous retrouvez devant la Cour Internationale de Justice de La Haye (*)…
Et nous choisissons de présenter le témoignage de Liseby Elysée, une habitante de Chagos forcée de quitter son île à l’âge de sept ans. On ne savait pas comment faire exister les Chagossiens dans cette audience. Alors on a choisi de projeter une vidéo de trois minutes et quarante-sept secondes pendant laquelle elle raconte son histoire. C’est un document incroyable. Je dois dire que je n’avais jamais entendu une salle sangloter comme je l’ai entendue ce jour-là. Tout à coup, ça dépassait la question du droit, ça devenait un sujet humain.
Cette audience aboutit à une décision de justice ordonnant à la Grande-Bretagne de restituer l’archipel au gouvernent mauricien. Pourtant, rien ne se passe. Pourquoi ?
Le gouvernement britannique prétend qu’il ne s’agit que d’un avis consultatif. Techniquement, c’est juste. Mais cette décision a une portée contraignante pour les Nations Unies, dont les organes se sont mis en conformité avec la décision de la CIJ. Les choses ont changé d’une manière telle que les Britanniques vont être obligés de revoir leur position.
Comment le gouvernement de Liz Truss peut-il aborder cette question ?
Ce qui est certain, c’est que son passage au ministère des Affaires étrangères fait qu’elle est parfaitement au courant du dossier. Et qu’elle a dit vouloir mettre un terme à cette histoire. Le gouvernement mauricien, de son côté, est prêt à proposer une concession de 99 ans aux Américains pour qu’ils conservent Diego Garcia. Une solution est donc possible.
J’ajoute que la disparition de la reine va amener beaucoup de territoires à s’interroger sur leurs liens avec la couronne, d’Antigua à l’Australie en passant par l’Irlande du Nord. L’histoire des Chagos s’inscrit dans cette question désormais inévitable : celle du rôle du Royaume-Uni vis-à-vis de ses anciennes colonies maintenant que la reine est décédée.
Une partie de vos racines se trouve en Ukraine. Que pensez-vous de ce qui se joue actuellement là-bas, alors que le pays a acquis son indépendance en 1991 ?
C’est là aussi l’histoire d’un pays refusant l’autonomie d’un territoire qui lui a autrefois appartenu. Or, l’aspiration à l’autodétermination est plus forte que tout. Les Ukrainiens ont fait ce choix il y a déjà 31 ans et ils n’entendent pas y renoncer.
Selon vous, dans le cas ukrainien, il est possible de saisir dès à présent la Cour Internationale de Justice de La Haye. De quelle manière ?
Il est en effet possible de poursuivre la Russie, et surtout ses dirigeants, de façon directe, pour « crime d’agression ». Un crime codifié à Nuremberg en 1945, sur lequel la Cour Pénale Internationale – qui traite les crimes de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre – n’a pas compétence. Mon idée est de créer un tribunal pénal spécial sur l’agression russe en Ukraine. Et il apparaît que cette proposition, à ma grande surprise, a rencontré une forte adhésion de la part de grands pays. Même si certains, comme la France, y sont opposés. J’avoue d’ailleurs que je ne comprends toujours pas l’attitude de M. Macron sur la question ukrainienne.
On constate en vous lisant que le temps du droit peut apparaître terriblement frustrant. Pourtant, écrivez-vous, lorsqu’une ligne bouge, les conséquences finissent toujours par se faire sentir… Il faut donc rester optimiste ?
À court terme, absolument pas. Je crains énormément les dix prochaines années et les risques de guerre que nous encourons. Notamment avec la disparition de ceux qui ont vécu la guerre en Europe, comme la reine d’Angleterre, et de leur mémoire. À long terme, en revanche, je reste optimiste. Ce sont des projets qui prennent énormément de temps. Le droit international d’aujourd’hui vit sur des outils juridiques qui ont été codifiés en 1945, et qu’utilise d’ailleurs l’Ukraine depuis le début de la guerre. C’est pourquoi il faut absolument poursuivre ces efforts, qui paieront dans le temps.
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Justice aux Canadiens-Français !/Chapitre XVI,Ouvrage .
Reste la justice,A voir et à lire. .